mercredi 18 juin 2008

Twin Peaks - population 51 201 à peu près


Comme d'habitude, la suite de l'article de Sarah Sepulchre en cliquant sur le titre

Twin Peaks, l’histoire

Tout commence par la découverte du cadavre de Laura Palmer emballé dans du plastique. Ce drame bouleverse la ville de Twin Peaks qui voyait dans l’adolescente une jeune fille sans histoire, elle était appréciée de tous ! Reine du lycée, petite amie du capitaine de l’équipe de football, distributrice de repas à domicile, la jeune fille était pourtant loin d’être aussi innocente qu’elle n’en avait l’air. Elle se droguait, se prostituait, avait plusieurs petits amis. Bref, elle menait une double vie et un mal la rongeait depuis toujours...

Le FBI dépêche un de ses meilleurs agents : Dale Cooper. C’est un homme droit, compétent, au visage juvénile, souriant, cheveux gominés et qui enregistre ses réflexions pour les envoyer à Diane, sa secrétaire. Il mène son enquête selon son intuition et les principes de la philosophie tibétaine. Le shérif Truman et lui deviendront rapidement amis et mèneront ensemble l’enquête. Mais ils ne seront pas les seuls sur la piste du meurtrier : James Hurley (le petit ami de Laura Palmer) et Donna Hayward (sa meilleure amie) rechercheront aussi l’assassin. Ils seront aidés par Madeleine, la cousine de la victime (et par ailleurs son sosie parfait). Audrey Horne, elle aussi, investiguera sur le crime, mais plutôt pour en savoir plus sur les agissements et l’implication de son père, Benjamin Horne.

Autour de cette histoire centrale graviteront rapidement d’autres intrigues et d’autres personnages. Les amours contrariées de Norma Jennings et Ed Hurley, les intrigues immobilières des familles Packard (Catherine, Pete et Thomas Eckardt) et des Horne (Benjamin et Jerry), le couple de Bobby Briggs et Shelly Johnson, le trafic de drogue de Leo Johnson, Mike et Bobby Briggs, la vie de Lucy Moran et d’Andy Brennan, sans compter les multiples routes que l’on croise : celle des Hayward, du docteur Jacoby, du major Briggs (qui n’a rien à envier à Mulder et Scully), de la "femme à la bûche", d’Albert Rosenfield, Dennis/Denise Bryson (incarné par David Duchovny) et Gordon Cole (interprété par David Lynch lui-même), notamment !!!

Les fils se nouent, se dénouent et s’enchevêtrent dans quelques lieux emblématiques : l’hôtel du Grand Nord, le Jack N’a Qu’un Oeil, le Double R, le commissariat, la caverne du hibou, les cabanes de la Dame à la bûche et des Renault, mais surtout la forêt et les loges. Ces dernières sont deux : la White Lodge et la Black Lodge. Ce sont les sièges du bien et du mal, deux endroits mythiques par excellence.

Il est très difficile d’isoler l’un ou l’autre récit tellement ils sont entrelacés. Ils s’emboîtent à tel point qu’ils ne conduisent jamais à une solution, mais plutôt à un nouvel embranchement. Non seulement chaque personnage a un secret à cacher, mais, en plus, le fantastique et l’irrationnel viennent se mêler aux faits. Tout cela fait de Twin Peaks un monde de l’inquiétante étrangeté (formule de Freud).

Finalement, David Lynch parvient à terminer la série en beauté. Il nous sert un ultime cliffhanger complètement insoutenable (et qu’on devra pourtant avaler). Il dynamise l’ensemble des trames narratives et nous ramène au point de départ. Autant dire que la frustration est énorme !

Twin Peaks : la structure

Une campagne de pub exceptionnelle a précédé Twin Peaks sur les écrans. Le 8 avril 1990 à 21h00, tous les Américains sont devant leur téléviseur pour ne pas louper la réponse à la question du moment : "Qui a tué Laura Palmer ?". Les autres chaînes ont d’ailleurs réagit en y répondant à leur manière : "Qui s’en soucie ?"

Twin Peaks est une série construite en deux époques. La première saison (pilote et 7 épisodes) se termine sur un cliffhanger insoutenable : Audrey Horne se trouve en fâcheuse posture au Jack N’a Qu’un Oeil (la maison close du coin) et une silhouette tire sur Dale Cooper. Pour maintenir les spectateurs en haleine, une nouvelle campagne promotionnelle est lancée pendant l’été et la première saison est rediffusée. Ainsi l’audimat est toujours aussi conséquent à l’automne suivant. Les 9 premiers épisodes de la deuxième saison rapportent la fin de l’enquête sur le meurtre de Laura Palmer.

David Lynch et Mark Frost auraient probablement préféré complexifier leur scénario sans dévoiler l’assassin, mais la chaîne en a décidé autrement. Mark Frost, lui-même, a annoncé que leur objectif était de développer le monde de Twin Peaks à l’infini. La quête de l’assassin n’étant qu’un prétexte mobilisant un nombre important de personnages et les entraînant dans un mouvement perpétuel. Mouvement perpétuel que symbolisent les plans sur la chute d’eau, sur le feu tricolore ou la lune qui sont repris tout au long de la série sans changer d’un iota (et donc qui sont éternels !).

Un autre élément produit cet effet d’éternité. Chaque épisode se déroule en une seule journée et le suivant commence le jour d’après (sauf entre les seizième et dix-septième épisodes où passent trois jours, ce qui marque la rupture entre le premier et le deuxième cycle). Les événements racontés dans Twin Peaks se déroulent dans un monde dont le rythme temporel est suspendu par rapport au nôtre. La ville semble, en effet, coincée dans le temps. Plus la série avance, plus Twin Peaks s’éloigne du monde réel. Selon les calculs, Cooper aurait fêté le Noël 1989 au trois centième épisode qui aurait été diffusé en 2001.

La série débarque en France sur la 5 en avril 1991. Malheureusement, la chaîne la programme le lundi face à des émissions de variétés très populaires. De plus, elle diffuse les épisodes par deux, ce qui impose au spectateur une concentration importante. L’audimat ne suit pas. Il faudra attendre 1994, et Canal Jimmy, pour que les français puissent suivre enfin un Twin Peaks fidèle à l’original.

Twin Peaks, une série pas comme les autres

Quand on est fan de séries (je veux dire de choses bien faites, même si on peut parfois s’arrêter à du plus léger), on ressent un réel choc quand on aborde Twin Peaks pour la première fois. Choc devant une oeuvre aussi grande. Comme la Chanson de Roland a été la première et seule véritable chanson de geste, Twin Peaks semble devoir rester la seule série de son genre. Quel genre ? Bonne question.

Martin Winckler, auteur de l’article Twin Peaks dans le livre Les Grandes Séries Américaines De 1970 A Nos Jours [1], dit que c’est une série onirico-policière tout à fait inclassable. Il qualifie également Twin Peaks de "véritable OTNI : objet télévisuel non identifié". En France, la série a été classée dans la catégorie "policier". Les Américains sont restés plus prudents. Les publicités de lancement spécifiaient qu’il s’agissait d’une nouvelle race de soap. Un très bon réflexe. Il est vrai qu’au niveau de l’intrigue, Twin Peaks s’apparente au soap opera : chaque personnage a ses secrets, ils sont très stéréotypés (un homme d’affaire, des adolescents, une femme fatale,...). Mais la surabondance des secrets donne justement son cachet à la série.

Dès le pilote, par exemple, le spectateur est confronté à six triangles amoureux différents ! Le traitement du stéréotype est lui aussi caractéristique. Les personnages sont très typés, mais chacun reçoit un signe "anormal". Ils sont tous atteints d’une manie ou d’une infirmité. Nadine est borgne, Gordon Cole est sourd, les cheveux de Leland Palmer blanchissent en une nuit, le frère d’Audrey est schizophrène, la mère de James est alcoolique, celle de Donna est en fauteuil roulant, Gérard est manchot, Cooper médite la tête en bas, idolâtre les beignets (un peu comme Homer Simpson) et le café, Sarah Palmer est quasiment folle, Jerry a un rapport fétichiste à la nourriture, la Red Room abrite un nain,... Notons bien que sans ce décalage et sans le description du quotidien par des détails terre à terre, Twin Peaks pourrait passer pour une oeuvre philosophique très lourde. C’est donc salutaire.

Sur le plan formel, Twin Peaks est également une oeuvre atypique. Il est vrai qu’elle entre dans le format habituel d’une heure découpée en quatre actes. Mais, à côté de cela, rien n’est "normal". La marque de fabrique la plus caractéristique est la lenteur. Un épisode de 60 minutes se découpe en général en 25 scènes. Twin Peaks n’a jamais dépassé les 18. C’est une série, ou du moins elle a été présentée comme telle, mais elle ressemble plutôt à un film extrêmement long découpé en épisodes. En effet, la plupart des séries développent en un épisode voire deux des histoires cohérentes. Même s’il existe des macroliens entre les différents épisodes, il est quand même possible d’en louper un de temps en temps. Chose impossible avec Twin Peaks ! La masse d’informations perdues serait trop conséquente.

Twin Peaks ne s’apparente pas seulement au film par cette intrigue homogène, mais aussi par la technique de tournage. Il n’est pas rare de croiser l’un ou l’autre plan "cinématographique" dans cette série. Par exemple, un gros plan sur de la vaisselle, un travelling arrière sur un trou du plafond, un fondu enchaîné artistique,... Le générique lui-même illustre bien ce propos. Il est on ne peut plus différent des génériques d’autres séries. Différents plans se succèdent : un oiseau sur une branche, une cheminée d’usine, des machines au travail, une route de montagne, une chute d’eau, une rivière, et, surtout, une musique triste et envoûtante. On est loin de l’album des personnages, du rythme effréné de Sauvé Par Le Gong ou Beverly Hills 90210 !

Beaucoup d’éléments font que Twin Peaks est une oeuvre atypique. Cela est dû en grande partie aux personnalités qui l’ont imaginé. David Lynch à lui tout seul est une pointure. Son univers n’a pas fini de nous surprendre ! Pour la série, il s’est associé avec Mark Frost (un des scénaristes de Hill Street Blues/Capitaine Furillo). Ils ont d’abord travaillé sur plusieurs projets : Goddess (un film sur les dernières semaines de la vie de Marylin Monroe), One Saliva Bubble (l’histoire d’un nain qui voyage grâce à l’électricité) et The Lemurian (une histoire d’extraterrestres infiltrés dans la société américaine). Ils ont tous capoté. "Puis nous avons réfléchi à ce projet de mélanger une enquête policière et un soap opera". Le scénario s’est alors construit. Il s’est aussi complexifié.

Au départ, on suit le meurtre de Laura Palmer, on termine avec des intrigues multiples d’amour, d’argent et de crimes. Les premiers épisodes développent la recherche du meurtrier. Dès le seizième, quand son identité est connue, le passé de Dale Cooper (c’est à dire une histoire d’amour avec Caroline Earle et ses relations avec Windom Earle son ex-coéquipier) prend le relais. Cette deuxième saison a paru moins bonne aux spectateurs. A cause d’une diffusion de plus en plus tardive et de moins en moins régulière (notamment à cause de la Guerre du Golfe), l’audimat a baissé. Pourtant, l’important n’est finalement pas de connaître le fin mot de l’assassinat de Laura Palmer (fin mot que nous n’aurons jamais d’ailleurs), mais d’assister au développement de l’univers de Twin Peaks.

Un univers fantastique, irrationnel, angoissant, délirant, mais toujours avec énormément d’humour. A ce point de vue, la série ne décevra jamais. Les auteurs ont joué jusqu’au bout la carte du mystère et de l’humour. Ils ne nous ont épargné aucun rebondissement. Ils ont entremêlé les histoires, les thèmes. Twin Peaks est une oeuvre de chef ! Twin Peaks met en scène la face cachée de l’humanité. Derrière une ville exemplaire, une fille exemplaire, des gens normaux, se cachent les pires dépravations. Le mal est partout. A Twin Peaks, rien n’est prévisible et tout bascule. C’est ça le message de la série, message qui dépasse largement le nom du meurtrier de Laura.

1 commentaire:

C.R. a dit…

Dire que Laura Palmer a refusé ma demande en mariage. On n’en serait pas là aujourd’hui, quel gâchis. David Lynch a vraiment fait un premier épisode très captivant. Disons, une première dans le domaine de la série télévisée. Quant à la suite, je dirais comme dans un de ces filmes. « Silencio » !