jeudi 20 mars 2008

fatigue...


Au beau milieu du fleuve, totalement irréfutables, deux énormes hippopotames ne laissaient paraître aux regards que les masses immobiles de leurs dos gris jaunâtres au cuir craquelé de boues éparses et d'algues mortes.
L'un des deux mastodontes émergea soudain des eaux sombres son incroyable trogne mafflue de cheval bouffi. Ses immenses naseaux sans fond se mirent à frémir et à recracher des trombes d'eau dans un éternuement obscène et fracassant. Puis il se mit à bailler. C'était un bâillement cérémonial, lent et majestueux, qui lui déchira la gueule en deux, aux limites de l'éclatement, en même temps qu'étincelait l'ivoire de sa bouche béante et que montait aux nues son beuglement sauvage. Presque aussitôt, le second hippopotame, sortit sa tête de l'eau en s'ébrouant frénétiquement. Puis les deux mastodontes se regardèrent longuement.
Alors, après avoir humé longuement de droite et de gauche l'air saturé de chaleur électrique, le premier hippopotame dit à l'autre :
"C'est marrant, je n'arrive pas à me faire à l'idée qu'on est déjà jeudi".

Texte de Pierre Desproges – Vivons heureux en attendant la mort

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