mardi 11 mars 2008

Intersectorialité du handicap

Il s'agit ici d'une note de réflexion, ouverte donc et corrigée de surcroit par la célinounette nationale...

L’intersectorialité inhérente du handicap.




Durant notre unité de formation de spécialisation dans le secteur du handicap il est apparut que la caractéristique principale de ce secteur est de ne pas en être un à proprement parlé. En effet, le groupe d’UF-8 « handicap » était composé avec une hétérogénéité certaine. Des étudiants stagiaires intervenants dans le secteur de l’intégration scolaire de personnes déficientes intellectuelles, auprès d’enfants au trouble du comportement, auprès d’un public de tous âges porteur d’un handicap moteur, ou encore stagiaires en milieu psychiatrique plutôt orientés vers la maladie mentale.

Nous le verrons dans cette note, le « handicap » ne pouvait en effet être un secteur à part entière, homogène de spécialisation tant son champ d’application s’est élargi, notamment par le glissement de la définition du handicap vers la notion actuelle de « situation de handicap », plus étendue.

Ainsi je me propose d’expliquer cette intersectorialité, ainsi définie dans le rapport de « la première journée liégeoise de promotion de la santé » le 18 octobre 2002 du centre liégeois de promotion de la santé :
« Selon les personnes ayant participé aux ateliers consacrés à ce thème, l’intersectorialité présuppose un découpage et un cloisonnement strict des compétences et domaines de spécialisation de chacun des secteurs impliqués dans une problématique commune.
Dans cette hypothèse, la pratique de l’intersectorialité entraîne une démarche visant à jeter des passerelles entre les différentes approches d’une même réalité. Ces passerelles peuvent notamment être définies en termes de flux d’informations entre personnes et institutions relevant de secteurs différents.
Chaque secteur, chaque discipline, chaque compétence porte sur la réalité considérée un regard particulier qui ne permet pas d’embrasser simultanément l’ensemble des facettes qui composent cette réalité.
Appliquée au domaine de la santé, cette sectorialisation permet sans doute de répondre avec plus ou moins de précision à telle ou telle attente spécifique, mais ne permet pas d’appréhender une problématique donnée dans toute sa complexité. »

Cette définition est tout à fait applicable au handicap, dont la prise en charge pluridisciplinaire est indispensable.
Afin de mieux appréhender notre conception actuelle du handicap, je me propose ici de revenir sur l’historique de ce que fût le secteur du handicap avant de devenir ce concept intersectoriel (source : article paru dans la revue « Réseau International CIDIH et facteurs environnementaux » par Jacques Côté) :

∑ L’origine hippique.

Décomposé, handicap signifie « hand in cap », ce qui signifie « la main dans le chapeau ». Il s'agissait d'un jeu de hasard dans lequel les joueurs disposaient leurs mises dans un chapeau. L'expression s'est progressivement transformée en mot, puis appliquée au domaine sportif (courses de chevaux notamment) au XVIIIe siècle. Le terme handicap, créé en 1827, vient des irlandais et prend son origine dans le domaine hippique. En hippisme en effet, un handicap correspondait à la volonté de donner les mêmes chances à tous les concurrents en imposant des difficultés supplémentaires aux meilleurs.

L'essence même de la notion de handicap repose sur la nécessité d'être équitable en "désavantageant" ou en annulant un avantage chez un concurrent.


∑ Autres situations d'inégalités des chances.

Au golf, un handicap est attribué aux joueurs relativement moins expérimentés, ce qui permet de soustraire un certain nombre de coups de leur carte. Ce dernier exemple fait ressortir un autre caractère essentiel de la notion de handicap: c'est par comparaison à quelqu'un d'autre, à une norme que se définit un handicap. Par extension donc, un handicap c'est une surcharge ou un désavantage imposé à un concurrent mieux placé afin que les chances soient égales au départ de la compétition (Robert, 1988). Encore, il s'agit d'un processus d'intégration sociale réciproque. Sans cette égalisation des chances, aucun joueur n'aurait de plaisir à jouer avec des compagnons de niveaux différents, les uns gagnant toujours, les autres perdant à coup sûr. Ont peut ajouter, bien entendu, à cette définition les remarques de Pierre Bourdieu dans « Question de Sociologie » le fait que cette égalité reste entre gens de bonne compagnie, c’est à dire de la même classe sociale.




Évolution de la notion de handicap.

Vers 1950, un sens figuré est attribué au terme handicap et qui évacue le désavantage imposé au concurrent supérieur ou naturellement avantagé. C'est une totale inversion du sens originel dont nous avons esquissé la genèse précédemment. Désormais, un handicap est synonyme d'un « désavantage, d'une infériorité qu'on doit supporter » (Robert, 1988).


Le même dictionnaire nous apprend qu'en 1957, handicapée « se dit d'une personne présentant une déficience (congénitale ou acquise) des capacités physiques ou mentales » (idem). Même le dictionnaire de Robert & Collin traduit le terme handicapés par "the disabled", c'est-à-dire les personnes présentant une incapacité. Le handicap est devenu une caractéristique individuelle dévalorisante et stigmatisante (E. Goffman, Stigmates) découlant automatiquement d'une incapacité ou d'une déficience. C'est assumer qu'un individu qui présente une déficience ou une incapacité est nécessairement inférieur, mal placé, hors concours, disqualifié. Il provoque la pitié avec sa différence, l'attention étant entièrement centrée sur cette particularité perçue comme envahissante et qui le désigne comme une victime. Dans ce glissement de sens, la contribution des citoyens ayant la chance de n'avoir ni déficience ni incapacité est complètement évacuée. Jean-Marc Boivin, représentant de l’association « handicap international » résume très bien ce qui aurait dû se passer:


« Si le mot handicap avait gardé son sens propre, nous nous trouverions devant la situation paradoxale suivante: les personnes handicapées seraient non pas celles qui sont déficientes, mais celles qui ne le sont pas. Ce sont les personnes normales qui supporteraient le handicap du poids même de leur supériorité. Ce sont elles qui porteraient les incapacités ou les inaptitudes des autres. Cela ne serait que juste dans une société véritablement humaine où l'on s'attend à ce que les plus forts portent les plus lourds fardeaux et qu'ils prennent en charge les individus incapables de porter quoi que ce soit (...). Répétons le, dans une telle société idéale, le handicap retomberait sur les épaules du plus fort comme dans les épreuves sportives ».


Actuellement, le CIH (Classification Internationale des handicaps, élaborée dans les années 1980 à la suite notamment des travaux de Philippe Wood) et la plus récente CIDIH issue de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) définissent le Handicap comme la résultante d’une équation linéaire suivante : une déficience (c’est à dire un manque, physiologique ou non) est cause d’une incapacité et de celle-ci découle un désavantage. L’ensemble est appelé handicap. Comme nous le voyons, il est donc difficile avec une telle conceptualisation de qualifier une personne de « handicapée », le handicap étant par définition une situation, bien que le législateur n’est pas suivi en France l’utilisation du terme « situation de handicap » préférant celle de « personnes porteur de handicap », qui a le seul avantage de mettre un terme entre « personne » et « handicap », sans mettre un terme à l’utilisation stigmatisante du mot « handicapé » et surtout sans changer en rien la conceptualisation.

Mais il existe d’autres modèle de conceptualisation du handicap que celui de la CIDIH, ainsi Mary Chamie, qui est en charge de la Section démographie et statistiques sociales à la Division des statistiques des Nations Unies, propose deux autres modèle, cité par Jacques Côté :
Dans un deuxième modèle, les relations entre les trois composantes précédentes (déficience/incapacité/désavantage) sont interactives et en partie soumises à l'influence de contraintes environnementales. Un courant de pensée venu du Québec a suggéré que le handicap ne réside pas dans l'individu mais qu'il se situe plutôt dans l'interaction individu-environnement (environnement social, matériel). Si ce dernier n'est pas modifié de façon à s'adapter à l'individu porteur d'une déficience ou d'une incapacité, cette personne est alors confrontée à une situation de handicap (ce qui était aussi le raisonnement de la première modélisation, mais moins explicitement); En revanche, et ce deuxième modèle approfondi donc le premier, une telle situation de handicap n'existe pas quand l'environnement est adapté. Il y a donc dans ce concept une part souligné de responsabilité sociale dans la création du handicap. Ainsi une personne avec une déficience ou une incapacité n'est pas nécessairement handicapée si la société se montre apte à l’accueillir en s’adaptant.


Patrick Fougeyrollas dans une présentation devant un comité d'experts de l'OMS en 1990 résume et complète ainsi ce deuxième modèle interactif:



« Le handicap est défini comme "une perturbation dans la réalisation des habitudes de vie d'une personne, selon son âge, son sexe et son identité socio-culturelle, résultant d'une part de ses déficiences et incapacités et d'autre part, d'obstacles causés par des facteurs environnementaux" (CIDIH 1989). Dans cette perspective, il devient impossible de faire référence à un "statut" de personne handicapée. Il est préférable de parler de "situations de handicap" spécifiques à l'interaction entre les caractéristiques fonctionnelles, comportementales ou esthétiques de la personne et les facteurs sociaux, c'est-à-dire l'accès aux services et programmes, les règles sociales, les valeurs et attitudes et les facteurs écologiques comme le climat, la géographie, l'architecture, l'organisme ou encore le développement technologique. Les caractéristiques individuelles comme les caractéristiques environnementales sont toutes susceptibles de varier afin de produire une diminution de situations de handicaps, autant pour une personne que pour une collectivité ».

Enfin, Mary Chamie (1990) reconnaît le rôle déterminant des facteurs environnementaux tels que les attitudes des membres d’une société, la vigueur des structures économiques et divers facteurs socioculturels. Ces facteurs « expliquent virtuellement tous les handicaps ». Les limitations associées à une déficience ou à une incapacité « résident simplement dans l'esprit du témoin ou dans les normes de la culture » (traduction de Jacques Côté).

Enfin un troisième modèle peut être développé :

Dans la définition de la CIDIH, l'environnement est, en pratique, conçu comme constant. Ce sont les individus qui varient en s'avérant aptes à franchir ou non les épreuves des rôles sociaux suivant leurs capacités. Ceux qui échouent sont dits désavantagés ou handicapés. Dans la définition suédoise, le handicap est conçu comme une interaction entre l'individu et l'environnement. L'individu cette fois est considéré comme constant et l'environnement variable. En conséquence, le handicap découle des imperfections de l'environnement, ce qui suggère qu'un individu qui va d'un milieu à un autre peut tantôt être ou ne pas être en situation de handicap. Certains milieux tant physiques que sociaux seraient donc affligés d'une incapacité relative à s'adapter aux besoins d'une partie des citoyens. Les nuances entre ces deux derniers modèles relèvent davantage de la forme que du fond. De toute évidence, un consensus est en élaboration.




Dans le modèle médical dominant actuellement, l'incapacité est conçue comme une caractéristique négative qui écarte du groupe des gens « normaux » l'individu qui en est porteur et requiert diverses interventions médicales telles qu'un diagnostic et un traitement (on peut ici ce référer à Emile Durkheim qui a développé une réflexion sur « le normal et le pathologique »). L'individu dit handicapé remplit le rôle de malade ou de patient dans notre société. Dans ce modèle, un individu avec plus d'une déficience ou incapacité est qualifié automatiquement de polyhandicapé. Cependant, historiquement, le handicap se définissait par opposition à la maladie. Le patient était malade tant que son problème pouvait être pris en charge médicalement, il était réputé handicapé une fois devenu incurable.
En revanche, l'approche sociale (ou médico-social, qui est identique, mais le terme inclus plus certainement l’idée de partenariat sociale/médicale) ajoute aux connaissances strictement médicales la compréhension de ce que vit l'individu avec une déficience ou une incapacité dans sa communauté, en s'attachant à définir ses possibilités de travailler et la qualité de son réseau de parents et amis. Ce qui nous a amené à l’élargissement conceptuel que nous venons de résumer.



En conclusion, les méthodes de définition et d'évaluation des situations de handicap spécifiques, tiennent compte de deux types de déterminants. D'une part, les déterminants propres à l'individu et, d'autre part, les déterminants appartenant aux environnements physiques et sociaux. Le handicap n’est donc pas une caractéristique, un secteur d’étude ou de spécialisation, il s’agit bel et bien d’une intersertorialité telle que défini en préambule. Toute situation peut être une situation de handicap pour peu que l’individu ne puisse y faire fasse de par un aspect déficitaire de sa personne ou de sa personnalité. L’aspect handicapant de celle-ci étant à la fois du fait de l’incapacité de l’individu et du fait d’une rigidité de la société à s’adapter. C’est aussi dans les attributions du travailleur social d’être le garant aux yeux de l’individu de cette adaptation.


L’intersectorialité du handicap présuppose que dans tous les domaines où l’on rencontre le handicap, d’un point de vue social, médical, paramédical, éducatif et rééducatif, sociologique, établissent des passerelles et des confrontations de points de vue. Ce fût le cas lors de notre UF-8 où des psychologues (clinicien ou comportementaliste) des sociologues, des infirmiers psychiatriques sont venu nous apporter leurs points de vue. Même d’un point de vue législatif, la pluridisciplinarité de l’ « intersecteur » est souligné (notamment dans les annexes XXIV) ainsi que la nécessaire adaptation de la société (sur les modèles suédois et canadien entre-autre). Ainsi, les 70 décrets d’applications de la loi du 2005-102 du 11 février 2005 (dite : « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ») vont dans ce sens également. Cependant on ne peut que déplorer la persistance du concept obsolète de qualification d’une personne de « handicapée ». La représentation même du handicap par un logo représentant un fauteuil roulant restreint fatalement le concept de handicap au plus visible, c’est à dire un appareillage d’assistance motrice, même s’il en existe dorénavant un pour la déficience auditive et un autre pour la déficience visuelle on ne peut que souligner l’impossibilité de réduire le handicap à un seul aspect. L’individu est à considérer dans sa globalité d’être social et capable, mais aussi en tant qu’éducateur d’étayer ces incapacités, les siennes, comme celle de la société. L’intersectorialité du handicap est une vision encore jeune mais presque adulte, elle fait petit à petit son chemin et se développe, je pense qu’il faut l’y aider.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

ja pas tout compris les mots dits .. mais joyeux anniversaire big bro :p
et ça n'a rien à voir avec l'article .. je sais.